La friction positive dans l’expérience utilisateur

On a tendance à assimiler une bonne expérience utilisateur avec une expérience utilisateur sans accrocs. Si on parle de friction, c’est généralement pour aborder des irritants voire des bloquants dans l’expérience qu’il faut identifier et éliminer. C’est une vision très ancrée sur le moment présent, comme si chaque action sur l’interface devait être rapide et fluide. Mais l’expérience utilisateur est un ensemble de moments, un tout qui va au-delà de la somme de ses parties.

Elle se construit sur le long terme quand l’interface est utilisée régulièrement.

Rencontrer un obstacle peut être désagréable sur le moment (mais pas toujours) ET avoir un impact positif sur l’expérience utilisateur globale in fine.
Explorons quelques exemples.

#1 Un outil dans la prévention des erreurs

 

Nous avons l’habitude de passer par des étapes de confirmation :

• Avant de supprimer une donnée,
• Avant de fermer un logiciel sans sauvegarder son travail,
• Avant d’envoyer un e-mail sans sa pièce jointe alors que celle-ci est mentionnée dans le corps du mail.

Une pop-up de confirmation est un exemple de friction quand l’action était délibérée, elle ajoute une étape, de la lecture, un choix, un clic, mais permettra d’éviter de commettre une erreur qui pourrait avoir des conséquences irréversibles importantes.
Avant d’utiliser cette technique dans nos interfaces, à nous de faire peser dans la balance le poids de l’étape de confirmation, avec le poids de l’erreur.
Cette confirmation peut être rassurante même pour l’utilisateur qui était sûr de son action : elle lui rappelle qu’il sera toujours protégé en cas de fausse manipulation.

#2 Renforcer la sécurité des données de l’utilisateur

 

Des étapes de confirmation de l’identité de l’utilisateur permettent de venir en rampart d’une tentative de piratage d’un compte, par exemple quand le système détecte une connexion depuis un nouvel appareil. La friction est plus importante que lors de la prévention d’une erreur, souvent il s’agit de renseigner un code reçu par mail ou SMS. Mais le coût du piratage sera aussi plus important quand il engage l’identité, les ressources ou les données privées de l’utilisateur. Il s’agit bien d’une friction positive.

#3 Accompagner l’utilisateur dans sa consommation des interfaces

 

D’autres applications, souvent des réseaux sociaux mais pas seulement, interrompent l’utilisateur dans sa navigation pour lui rappeler sa durée d’utilisation et lui proposer de faire une pause. Cette

interruption constitue clairement une friction, et sa perception par l’utilisateur n’est pas facile à anticiper par le designer.
Lorsque l’application restreint son accès à la demande de l’utilisateur, la friction a plus de chances d’être positive. Si elle n’est pas à l’initiative de l’utilisateur, d’autres facteurs internes et externes vont avoir un rôle : la durée avant le déclenchement de l’alerte, le moment de la journée où l’utilisateur se sert de l’application, le motif d’utilisation, la personnalité de l’utilisateur, le ton de l’alerte, etc. L’expérience utilisateur pourra être dégradée à un instant t, mais renforcée sur le long terme si l’utilisateur se sert moins de l’application mais d’une manière plus qualitative.

#4 Donner une bonne impression à l’utilisateur

Une étude de Michael Norton et Ryan Buell a exposé des participants à deux versions d’un site de vente de billets d’avion :

• Dans la première version la recherche délivre des résultats instantanément,
• Dans la seconde version les billets mettent quelques dizaines de secondes à apparaître mais

le site matérialise l’effort fourni en décrivant les étapes sous la barre de chargement.
Les participants ont largement préféré la seconde version.
Cet effort illusoire donne une impression de qualité à l’utilisateur qui est conditionnée par la qualité des résultats. Si les résultats sont décevants, le temps d’attente supplémentaire sera au contraire délétère à l’expérience utilisateur.

Un autre exemple concerne les usagers de l’aéroport de Houston qui se plaignaient du temps d’attente pour récupérer leurs bagages. En éloignant les bagages des terminaux, cette insatisfaction a été fortement réduite : le temps d’attente total est le même, mais l’usager est en mouvement et attend moins longtemps à destination.

Ces deux exemples montrent que réduire la fluidité du parcours peut améliorer l’expérience utilisateur. Pour mettre cette technique en oeuvre il faut utiliser les savoirs en psychologie cognitive même s’ils contredisent les bonnes pratiques de design (nombre de clics, vitesse d’exécution, etc.).

#5 Générer du partage, un esprit de communauté

 

Enfin, l’utilisateur peut être incité à chercher des réponses à ses bloquants autour de lui, auprès de pairs utilisant le même produit. Dans ce cas la friction a un effet positif. Ces partages de connaissance créent une dynamique autour du produit qui est bénéfique à la fois pour le produit mais aussi pour les utilisateurs qui sont entraînés dans cette émulation.

Beaucoup d’exemples de ce type de friction viennent du jeu vidéo, on pense à Pokemon Go dont l’interface pas toujours claire a entraîné la création de tutoriels en ligne par les joueurs, ou le jeu The Endless Forest où la progression se fait uniquement par le partage avec d’autres joueurs, mais ce n’est pas restreint au jeu vidéo. Des applications comme Snapchat ou TikTok peuvent aussi être citées, et la communauté est précieuse pour les utilisateurs qui veulent comprendre comment tirer parti au mieux de ces outils.

D’un point de vue design, on peut imaginer « cacher » délibérément une fonctionnalité dans son application pour que sa découverte fasse partie d’une transmission, d’un bouche à oreille dans la communauté du produit. A condition que son usage soit facile une fois que l’utilisateur est « dans le coup » : par exemple un raccourci par geste pour appeler la fonctionnalité.

Réserves

Ajouter de la friction positive doit être une action bien réfléchie. Tester en amont sur les utilisateurs est souvent crucial. Si la friction positive améliore l’expérience utilisateur globale, il faut aussi se poser la question de l’accessibilité et l’inclusivité : par exemple le déplacement dans l’aéroport de Houston donne l’illusion d’un temps d’attente moindre qui satisfait le plus grand nombre, mais est sûrement délétère pour toutes les personnes qui ont des difficultés à se mouvoir. Dès lors qu’on ajoute de la friction on prend le risque de laisser de côté une partie des utilisateurs ou usagers. Comme pour tout en UX, pas de recette toute faite avec la friction positive, il faut faire du cas par cas.

Take away

– La friction n’est pas synonyme d’une expérience utilisateur dégradée, il faut penser à la vision d’ensemble et la relation avec l’utilisateur sur le long terme,

– Ajouter de la friction est utile pour protéger l’utilisateur et peut influencer l’impression qu’il va avoir de l’interface et du produit,

– Cependant, l’accessibilité de l’interface reste essentielle et il faut prendre en compte cette question quand on ajoute des points de friction.

Pour aller plus loin

Plus de détails sur les études de Norton et Buell : https://hbr.org/2011/05/think-customers-hate-

waiting-not-so-fast
Un poster classant des exemples de friction positive par type https://ruthkschmidt.com/work#/ positive-friction/

 

 


 

Marie Euzin, UX Designer @UX-Republic

 


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