UX CALENDAR – 16 DÉCEMBRE – Musée, enfants et UX

Comme je vous l’avais promis dans mon dernier article, voici le dernier volet de ma trilogie.

En effet, je souhaitais faire une série d’articles sur les thématiques “peu communes” sur lesquelles j’ai pu intervenir. Après un premier article, l’année dernière, sur la conception d’un véhicule autonome, un deuxième, le 6 décembre dernier, sur la conception de jeux de société, voici le troisième : 

# Musée, enfants et UX

Trois mots que rien ne relie, et pourtant …

Le Grand Palais avait décidé de mener trois études, sur lesquelles je suis intervenu. 

La première portait sur les outils de médiation dont les conférenciers disposent (avec un focus sur la dimension numérique), la deuxième sur les différents ateliers proposés aux enfants, et la troisième, sur l’accueil des jeunes publics. C’est sur cette troisième étude que porte cet article.

En effet, pour son exposition Dynamo, le Grand Palais décide d’accueillir pour la première fois des enfants de maternelle (âgés de moins de 6 ans) ; le conservateur du musée estime que le type et le format de l’exposition s’y prêtent bien. Cependant, n’ayant jamais accueilli ce “profil” de visiteurs, il souhaite documenter ce qui pourrait être amélioré pour les futures expositions afin de rendre l’art accessible aux plus jeunes.

#1 Mais qu’est-ce que l’art ?

Avant d’aborder la méthodologie mise en place dans cette étude et ses apprentissages, je souhaitais revenir sur cette question. Qu’est-que l’art ?

D’après le Petit Larousse illustré (2000), l’art correspond à la création d’objets ou de mises en scènes spécifiques destinées à produire chez l’homme un état de sensibilité et d’éveil plus ou moins lié au plaisir esthétique.

De nos jours, l’art occupe toujours une place fondamentale et Goodman (1984) met en avant l’importance de le comprendre malgré sa complexité et son caractère erroné. Pour lui, répondre à la question « qu’est-ce que l’art ? » a moins d’importance que de se demander « quand est-ce que l’art à lieu ? Quand est-ce que l’art fonctionne ? ». Selon ce même auteur, l’œuvre d’art qui fonctionne « consiste dans la réponse d’un public ou d’un auditoire appelé à la saisir, à la comprendre et à comprendre, à travers elle, d’autres œuvres et d’autres expériences ». Une œuvre fonctionne quand elle est comprise, quand ce qu’elle symbolise et la façon dont elle le symbolise est discernée et affecte la façon dont nous organisons et percevons un monde. Et la mission du musée a une haute importance qui est de collecter, préserver et rendre les œuvres accessibles à l’usage du public. Pour cela, il doit fonctionner comme une institution destinée à prévenir et à soigner la cécité de la plupart des visiteurs qui ne savent pas voir les œuvres. Ce rôle incombe alors aux médiateurs.

En effet, le médiateur a pour objectif d’effectuer un travail de liaison ou de passeur entre deux parties ; c’est un travail d’interprétation, de transmission d’une connaissance et d’une esthétique attribuée à une œuvre. Peyrin (2010) définit la médiation culturelle comme étant l’ensemble des actes qui visent à faciliter l’appréhension des œuvres artistiques ou scientifiques, les actes facilitant la rencontre et la relation entre les œuvres culturelles et artistiques et les publics.

Mais comment faire de la médiation avec des enfants de maternelle ?

Pour Montaigne, « Éduquer un enfant n’est pas remplir un vase, mais allumer un feu ». Il considérait déjà l’enfant comme un sujet actif et non passif à attendre qu’on le remplisse de connaissances. L’enfant est le propre acteur de sa visite. Le médiateur allume, donne l’étincelle mais le feu brûle ensuite par lui-même. C’est-à-dire que l’enfant construit lui-même ses connaissances, son savoir, ses représentations à partir de ce qui lui est donné par le médiateur.

 #2 Objectifs de l’étude et méthodologie de récolte de données 

Une fois ces bases posées, je m’intéresse à l’activité, conjointe, des conférenciers, des enfants et des enseignants les accompagnant dans l’objectif de comprendre leur expérience de visite dans cette exposition pour proposer des recommandations d’amélioration d’accueil des jeunes publics.

Étant donné l’âge des enfants, en plus d’adapter mon discours, j’ai également dû adapter mes habitudes de recueil de données car on ne recueille pas des données de la même manière avec un enfant qu’avec un adulte. 

Tout d’abord, je contactais les enseignants en amont de leur visite afin de leur expliquer l’étude et ma présence lors de leur visite avec leurs élèves. Une fois cette présentation faite et l’accord de l’enseignant reçu, je leur envoyais une lettre à donner aux parents afin de recueillir l’autorisation de capter des images de leur enfant.

Lors de la visite, l’objectif était de me faire la plus discrète possible. Le conférencier me présentait comme étant une personne du musée qui allait accompagner le groupe pour les aider. Par conséquent, je restais en retrait, en “fin de groupe”, d’où je filmais avec des lunettes caméras afin que les élèves ne s’en aperçoivent pas. Pour être sûre de capter le plus de verbatim possible, j’équipe le conférencier d’un micro cravate et je démarre les deux enregistrements en même temps afin de pouvoir caler les deux types d’enregistrements lors de mon analyse. De mon côté, je me permettais de faire des commentaires sur ce que je voyais afin de ne pas avoir à prendre de note durant mes observations.

Entre deux œuvres, je posais des questions à certains enfants qui se trouvaient à côté de moi ou qui me prenaient la main jusqu’à la prochaine œuvre pour recueillir des données sur leur expérience de visite (en sachant que cela serait enregistré).

A la fin de la visite, je réalisais un entretien avec le conférencier.

J’ai également eu l’accord d’une enseignante pour venir dans sa classe le lendemain de la visite, lors d’une séance de “retour sur la visite”. Les enfants étaient amenés à dire ce qu’ils avaient aimé et moins aimé avant de démarrer une séance de dessin de ce qu’ils avaient préféré durant la visite.

A la fin de cet atelier de dessin, j’ai réalisé des “entretiens” avec 10 enfants. Je mets le mot entretien entre guillemets car on ne mène pas un entretien avec un enfant de 4 ans comme on mène un entretien avec un adulte. En effet, les entretiens étaient courts (aux alentours de 5-10 minutes) car les enfants sont parfois peu loquaces ; non pas qu’ils n’ont pas vécu beaucoup de choses mais plus parce qu’ils n’ont pas encore les mots pour dire tout ce qu’ils ressentent et aussi parce qu’au lendemain de la visite, leur mémoire commence à leur faire défaut 🤭.

Pour les aider à me parler de leur visite je les faisais venir avec leur dessin et je leur demandais de me raconter leur journée de la veille, de me dire ce qu’ils avaient aimé, les différentes œuvres qu’ils avaient vu, comment ils se sentaient pendant la visite, à la fin de la visite.

Je ne vous cache pas que ce ne sont pas ces entretiens qui m’ont permis de recueillir le plus de données exploitables 🤫.

#3 Et qu’est-ce qu’on fait de tout ça après ?

L’objectif de cet article n’est pas de vous montrer l’ensemble des résultats de cette étude mais plutôt de vous montrer ce qu’a pu apporter la réalisation d’une recherche utilisateur dans ce contexte muséal, bien loin des missions “digitales” pour lesquelles l’UX est plus connu.

À partir des analyses que j’ai réalisées, j’ai pu faire différents types de recommandations.

En effet, un musée qui souhaite accueillir des très jeunes publics doit prendre en considération des éléments qui sont différents d’un public adulte. Voici quelques exemples des recommandations que j’ai pu faire.

  • Créer un espace d’accueil dédié aux enfants et réduire la fatigue avant le début de la visite :

Pour arriver au musée, les enfants doivent prendre l’escalier du Grand Palais. Ils arrivent au musée, déposent leur affaire aux vestiaires, puis montent un escalier pour aller aux toilettes, redescendent puis se dirigent vers l’entrée de l’exposition où le conférencier décide de prendre les escaliers pour éviter tout danger avec l’escalator. 

  • Penser l’exposition, l’ordre de présentation et  le sens de visite pour des enfants : 

Permettre aux conférenciers de voir les œuvres les plus intéressantes pour des enfants sans avoir à parcourir l’ensemble de l’exposition. Un peu comme les raccourcis chez Ikea 😉.

Au Grand Palais, cela était en partie possible car il y avait un escalier qui permettait de couper une grosse partie de l’exposition mais de nombreux conférenciers faisaient le choix de ne pas le prendre car il y avait beaucoup d’oeuvres dans le “parcours coupé” qu’ils trouvaient pertinentes de montrer à des enfants de cet âge. À ce moment-là, ils devaient faire un choix entre permettre aux enfants de voir certaines œuvres mais créer davantage de fatigue chez eux en parcourant l’exposition entière ou couper le parcours et donc réduire leur fatigue mais passer à côté de certaines œuvres…

  • Définir à l’avance les oeuvres qui seront vues par les enfants et leur permettre de les voir correctement :

Au niveau de la visite, j’ai remarqué que beaucoup d’enfants ne voyaient pas le ou les effets des œuvres, ce qui est dû à la hauteur d’accrochage de ces dernières. Les œuvres ne pouvant pas être accrochées de façon permanente à une hauteur optimale pour des visiteurs mesurant 1m10, il pourrait être envisagé de concevoir un dispositif pour lequel un mécanisme permettrait de descendre ou de monter les œuvres accrochées au mur (cela n’est bien entendu pas envisageable pour les sculptures ou autres œuvres posées au sol). Ce dispositif ne pourrait être enclenché que par les conférenciers du musée (dans un premier temps) afin qu’ils remettent l’œuvre à la hauteur convenue par les scénographes après leur passage.

  • Permettre des espaces pour des “temps calmes” :

Durant la visite, les conférenciers font s’asseoir les enfants, pour différentes raisons : les calmer, faciliter la surveillance et le dialogue. Il s’agit de moments indispensables durant la visite qui n’étaient pas toujours possibles. Cela devrait être un critère à prendre en compte en amont de la conception des espaces des salles et du placement des œuvres.

Photo d’une classe dans le Pénétrable de Soto (à gauche) et assis à côté de la même œuvre (à droite).

“avec les enfants c’est flagrant il faut un moment où ils se posent. Il faut un moment où ils s’assoient, ils se posent, ils se calment. Avec les tout petits – d’ailleurs t’étais là quand j’ai eu les plus minuscules que j’ai jamais eus, les p’tit chouchous de 3 ans. Mes 31 petits chouchous de 3 ans, et bah honnêtement j’y croyais qu’à moitié. Mais le fait de les asseoir, s’étirer, respirer un grand coup, ça marche ; c’est vrai. Plus ils sont petits, plus il faut les guider vers l’apaisement ; quitte après à les faire courir comme des dingues dans le Pénétrable de Soto.” (extrait d’entretien avec une conférencière).

  • Donner des ressources aux conférenciers pour créer une visite optimale :

J’ai remarqué que certains conférenciers racontaient des histoires aux enfants pour leur permettre de comprendre les œuvres. Pour aider les conférenciers qui ne connaissent pas forcément d’histoire pour enfants en lien avec certains thèmes de la conférence, il pourrait être mis à la disposition de l’ensemble des conférenciers un document, mis à jour avant chaque exposition, avec des histoires pouvant être racontées sur l’exposition qui va avoir lieu. Ce document pourrait être complété par les conférenciers eux-mêmes s’ils ont une idée d’histoire à raconter qui leur semble pertinente.

Durant l’exposition, une conférencière ramenait une petite cuillère de chez elle afin d’expliquer le concept de miroir concave et convexe aux enfants. Deux autres mimaient, l’une avec ses mains, l’autre avec sa bouche, pour faire le creux et bombé. On pourrait envisager une petite mallette “ressource” avec des objets dedans qui aideraient le conférencier à expliquer certains concepts.

Photo d’une conférencière mimant, aux élèves, la forme des différents miroirs pour expliquer les concepts de miroir plats, concaves et convexes.

# Conclusion 

Au travers de cet article, nous pouvons voir, qu’en adaptant un peu les méthodologies mobilisées en recherche utilisateur, nous pouvons proposer des solutions de conception pour qu’un espace de médiation culturelle devienne adapté à des très jeunes publics. 

En effet, la richesse de ces méthodologies réside dans le fait d’avoir pour objectif de comprendre les besoins des utilisateurs, quels qu’ils soient, quelle que soit la situation d’usage. Les termes “Musée”, “Enfants” et “UX”, que rien ne semblait relier, prennent alors tout leur sens ensemble.

À bientôt pour de nouveaux récits de pratique de l’Ux dans des domaines qui sortent de “l’ordinaire” 😃

 

 

Céline POISSON, Lead UX Research @UX-Republic – Docteure en Ergonomie

 


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