[UX-Conf 2023] Les priorités du numérique responsable

Cet article retrace la table ronde “Quelles priorités en matière de numérique responsable ?”, organisée le 19 septembre 2023 lors de la première édition de l’UX-Conf – Human First. Animée par Clément Fages, journaliste numérique, ce temps fort a réuni cinq intervenants :

  • Nour Hebiri, UX-Republic
  • Renaud Dorizon, ManoMano
  • Martin-Auguste Bossut, ManoMano
  • Loic Le Pellec, Engie
  • Maxime Champoux, Qonto

Le numérique responsable est une démarche qui vise à améliorer lempreinte écologique du numérique – qui représente 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et 2,5 % de lempreinte carbone nationale (ARCEP, étude 2023) – mais aussi à lutter contre la fracture numérique, veiller à la protection des données et plus largement adopter une posture éthique sociétale.

Conjuguer sobriété, accessibilité et enjeux business

“Chez ManoMano, on a construit les parcours de façon empirique. On sait par des études qu’il y a 70% de fonctionnalités non-essentielles, voire 45% qui ne sont pas utilisées” a indiqué Martin-Auguste Bossut, Sustainability Data Manager chez ManoMano. Il recommande de faire de temps en temps “une petite cure d’amaigrissement numérique”. 

Voici sa méthode : réfléchir à ce qui est essentiel, faire de l’A/B Testing, mesurer, itérer, en essayant de faire cohabiter des roadmaps de simplification avec les objectifs business. Pour y parvenir, Martin-Auguste instiste sur “le devoir de sensibiliser et de partager ses convictions, surtout avec l’IT, parce qu’ils ont eux aussi leur propre roadmap. Une fois que tout le monde est aligné, c’est beaucoup plus simple”. 

Renaud Dorizon, Head of Design chez ManoMano souligne ensuite qu'”intégrer l’éco-conception dans les process et les projets tout en gérant l’hypercroissance d’une scale-up, c’est compliqué” et qu’il faut “trouver le timing”. La création ou la refonte d’un Design system est un moment clé où “l’éco-conception, laccessibilité et les enjeux business convergent“. Lorsque le Design System est déployé à large échelle, il est important d’appliquer les normes d’accessibilité du RGAA (Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité), du W3C (World Wide Web Consortium) et réfléchir à ce qui est essentiel. cela permet d’avoir un impact significatif. Puis, en utilisant un code plus propre et des pages moins lourdes, le site améliore aussi son référencement.

Promouvoir l’accessibilité et l’inclusion via le Design System

Qonto, alternative bancaire pour les entrepreneurs et les TPE, a créé son Design System il y a plusieurs années. “Aujourd’hui, quand on crée ou quon fait évoluer un composant, on utilise des checklists et des outils comme Stark sur Figma, pour avoir des points de contrôle et s’assurer qu’on est dans les clous en termes d’accessibilité et dinclusion” témoigne Maxime Champoux, Head of Product chez Qonto.

D’après son expérience, corriger d’un coup tous les problèmes d’accessibilité en mode “batch” lors d’un rebranding par exemple, n’est pas la meilleure option. “Côté Produits, on est 150 et on fait entre 25 et 30 features par trimestre. Si on n’arrive pas, derrière, à assumer les choix que l’on fait, à partager la connaissance, cela va devenir obsolète assez rapidement”.
La mise en place d’un Design System apparaît donc, là encore, comme une solution, en veillant à accompagner la diffusion des standards par de la formation.

Au-delà du Design System, la navigation au clavier, le voiceOver, etc., sont gérés à l’étape du développement pour garantir que l’interface sera compatible avec les outils favorisant l’inclusion. 

Cette démarche bénéficie à la fois aux utilisateurs et à l’entreprise, a souligné Maxime Champoux. “En termes d’accessibilité, on voit directement l’impact sur la satisfaction des utilisateurs (NPS) mais aussi sur la capacité à toucher un public plus large”.

Penser global et agir à son échelle

L’accessibilité numérique est aussi la priorité de Nour Hebiri, Senior product designer chez UX-Republic qui invite à soigner les interfaces jusque dans les animations et les micro-interactions. 

Évoquant plus globalement le numérique responsable, Nour Hebiri a partagé sa conviction que “limpact des futurs services devrait être évalué dès le cadrage, de façon systémique. Il faut penser à l’aspect physique et fonctionnel, à la conception graphique, au contenu, à l’accessibilité numérique mais aussi au développement et à l’hébergement”. 

Concernant l’éco-conception, elle suggère de sappuyer sur des outils comme lEcoIndex de Green IT et préconise la démarche Mobile First qui limite la tentation de remplir les interfaces avec du contenu superflu dont le chargement aura un impact environnemental.

Consciente que les designers ont parfois du mal à porter la démarche au sein de l’entreprise, Nour Hebiri rappelle également que même les petites actions sont bénéfiques. Par exemple, il faut éviter les auto-plays et l’utilisation d’images aux formats et résolutions surdimensionnés.

Cibler ses actions pour maximiser l’impact

Responsable Digital au sein de la Direction des clients professionnels France d’Engie, Loic Le Pellec a abordé le sujet de la responsabilité numérique avec humilité et pragmatisme.  “Sur le Green IT, on est comme beaucoup, en plein questionnement : qu’est-ce qu’on mesure et comment ? Quel périmètre (uniquement le front ? le back, les serveurs ?) Quels objectifs ? Chez Engie, on le fait avec sincérité et la volonté d’être efficace pour éviter le greenwashing”.

À l’échelle du groupe, Engie incite (financièrement) ses unités à prolonger la durée de vie des équipements informatiques, a indiqué Loïc Le Pellec, une action dont l’impact est maximisé par l’envergure de l’entreprise.

Il observe aussi qu’en tant que fournisseur de gaz naturel et dans le cadre du scope 3, “le principal enjeu pour sa Direction n’est pas uniquement de réduire sa propre empreinte carbone mais aussi d’aider les clients à réduire la leur”. Ils proposent ainsi le suivi de la consommation, des challenges et un simulateur de bilan carbone 2, autant d’outils s’appuyant sur… le numérique.

Utiliser le numérique pour des innovations responsables

Le digital peut aussi être utilisé pour rendre l’entreprise elle-même plus responsable, comme l’a démontré Martin-Auguste Bossut en parlant avec fierté du Score carbone 3.

Il y a moins de six mois, ManoMano a implémenté l’affichage d’une note qui permet de comparer des produits sur la base de leur empreinte carbone. Près de 700 000 produits sont déjà notés. Il qualifie ce projet très ambitieux “dultra tech“. “ManoMano traite des millions de produits et on voulait un projet qui soit tout de suite “at scale”, pour avoir de l’impact”.

Selon Martin-Auguste Bossut, le premier défi relevait de la data. “Il fallait construire un modèle de données efficient. On s’est tout de suite demandé, avec notre IT manager, comment rendre ce projet ad-hoc intéressant sur le plan Green IT et si on avait  vraiment besoin d’une actualisation tous les jours par exemple.”

La question de l’accessibilité s’est également posée : “On simplifie avec une note de A à E. Mais comment fait-on pour que nos clients adoptent cette méthode facilement,  y compris ceux qui ont du mal à naviguer sur Internet ?”. Martin Auguste Bossut a remarqué que ce projet utile aux consommateurs l’était aussi pour ManoMano qui dispose ainsi de données produits réelles pour la mesure et le pilotage de son scope 3.

Conclusion

De la conception centrée sur l’utilisateur à la gestion des données et à l’écoconception, il existe beaucoup de pistes pour rendre ses pratiques numériques plus responsables, y compris face aux contraintes de l’entreprise. Un enjeu dont la prise en compte est aujourd’hui un impératif pour les entreprises soucieuses de l’avenir de notre planète et de la satisfaction de leurs utilisateurs.

Sylvie Austrui, UX Designer  – UX-Republic