L’histoire du pilote standard
“You never knew if you were going to end up in the dirt.” (« Vous ne saviez pas si vous finiriez dans la poussière », ancien aviateur de l’armée de force)
À la fin des années 1940, l’armée de l’air des États-Unis réalisait que ses pilotes ne pouvaient contrôler leurs avions. Contrairement à ce qu’indiquaient les rapports de l’époque, ce n’était ni des « accidents » ni des « erreurs de pilotage » : le problème provenait d’une approche uniformisée et standard, « one-fits-all » en anglais.
Lors de la conception du tout premier cockpit en 1926, des centaines de pilotes hommes ont été mesurés afin de standardiser les dimensions et formes du siège, la distance des pédales, la hauteur du pare-brise, jusqu’aux casques de vol. Si ces mesures se sont précisées avec les données de 4063 pilotes, aucun d’entre eux ne correspondait aux dimensions physiques moyennes. Le cockpit pour le pilote moyen ne correspondait à aucun pilote.(1)
Que pouvons-nous en déduire ? Cette manière d’appréhender le produit est problématique en ce qu’elle suggère aux utilisateurs de se conformer à un idéal, considérant l’individualité comme une erreur.
C’est là que la notion d’inclusivité prend son sens. Le process de design inclusif commence par identifier des situations où une population est exclue dans l’utilisation d’un produit ou d’une technologie. Kat Holmes, pionnière de l’inclusivité dans l’UX et autrice de Mismatch: How Inclusivity Shape Design (2), définit le design inclusif comme un processus, et non une finalité, qui se focalise sur une population sous-représentée ou peu prises en compte. Le design universel, quant à lui, est un design qui marcherait pour tout le monde, dans tout scénario, pour toute éventualité.(3)
L’accessibilité est donc une finalité de l’approche inclusive. L’Organisation Mondiale de la Santé redéfinit le handicap comme une non-concordance entre l’individu et son environnement, c’est-à-dire que le handicap n’est plus considéré selon des capacités physiques ou mentales individuelles, mais selon un modèle social et structurel.(4)
Nous vivons tou-te-s des situations de handicap. Prenons l’exemple de la mobilité réduite : elle peut être permanente (paralysie), temporaire (genou cassé), ou situationnelle (sac de courses).
Dans notre quotidien, nous sommes entouré-e-s d’objets dont l’origine provient d’une non-concordance de personnes avec leur environnement.
L’histoire de la légende automatique
“It was only when they started adding videos that the Net was not my means of access, but it became a barrier,” (« C’est seulement à partir du moment où ils ont commencé à ajouter des vidéos qu’Internet n’était plus pour moins un moyen d’accès mais une barrière », Ken Harrenstien, ingénieur à Google)
Sourd de naissance, Ken Harrenstien aimait le Web, grâce auquel il pouvait envoyer des e-mails et avoir des discussions sans l’aide d’un traducteur en langue des signes. C’est à partir du moment où de plus en plus de vidéos ont été postées qu’il ressentit une barrière : les vidéos en ligne ne comportaient pas de sous-titrage, contrairement à la majorité des programmes télévisés. Cela provient de la Federal Communications Commission (Commission Fédéral des Communications) qui obligea les chaînes télévisées états-uniennes d’inclure des sous-titres à leurs programmes.
En 2009, il introduit la fonctionnalité de sous-titrage automatique, pour les chaînes éducatives sur Youtube dans un premier temps. Il fit de sa surdité une force, une manière de répondre aux besoins utilisateurs : « “It is extremely important [to my work] because I’m creating something I want and need for myself ». (5)
C’est à travers sa propre expérience d’exclusion qu’il a pu concevoir une technologie favorisant l’accessibilité au site le plus visité au monde, après Google.
Liz Jackson, fondatrice de The Disabled List (6), sensibilise sur le pouvoir de l’ingéniosité du handicap. Selon elle, dans la méthodologie de Design Thinking, le handicap est souvent défini comme étant le problème. Or, le design devrait être un moyen d’expression plutôt que la réparation de ce qui n’a pas marché, en fin de process. L’histoire qu’elle aime raconter est celle du FingerWorks, dont l’inventeur souffrait du syndrome du canal carpien, généré par un endommagement de l’appareil moteur notamment dans les mains et les bras. Cette invention permit aux mouvements de doigts d’être convertis en différentes actions. Le brevet fut acheté par Apple Inc. en 2005 et la technologie est à l’origine des écrans tactiles iPhone.(7)
En tant que UX/UI Designer, je cherche à être inclusive dans ma démarche. Pour un projet d’e-commerce sur le bien-être, j’ai voulu considérer le produit selon une perspective non-genrée. Grâce à un large panel d’utilisateurs-rices, j’ai pu approcher le problème en me concentrant sur une architecture de l’information où les produits étaient catégorisés selon des termes neutres et pratiques, et non selon un usage supposé « pour femme » ou « pour homme ». Les données collectées convergeaient avec l’avis d’une psychothérapeute spécialisée dans les questions de genre, qui recommandait un ton neutre, une classification selon un angle scientifique et une description des produits basée sur leurs fonctionnalités. De même, pour un site d’e-commerce d’une marque éthique de vêtements grande taille, j’ai pu faire des tests d’usabilité avec des utilisatrices correspondant à la clientèle cible. Cela me permit repenser le parcours utilisateur selon la spécificité de la marque, qui produit à petite quantité après commandes (à contre-courant de la fast fashion), et selon les besoins des utilisatrices, qui se sentaient souvent exclues des sites d’e-commerce.
L’inclusivité est importante en UX en ce qu’elle est un processus qui permet d’intégrer une population exclue d’un produit. Plutôt que de définir un utilisateur standard qui ne correspondrait à personne, un design universel qui rejetterait les spécificités, concevoir en incluant les situations de handicap offre des possibilités vastes. Dans notre quotidien, une diversité de produits doit son origine à une ingéniosité et une créativité issue d’une situations d’exclusion : le vélo, la machine à écrire ou encore les livres audio en sont des exemples. Comme le développement durable, l’inclusivité est souvent utilisée comme marque, une mode, ce qui rend sa définition confuse. Au même titre que la certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design), il est nécessaire qu’une réglementation soit appliquée en terme d’inclusivité et d’accessibilité : c’est ainsi que les sous-titres furent obligatoires pour les chaînes télévisées, alors que ce n’était pas le cas pour les vidéos en ligne. Cette situation fut à l’origine des sous-titrages automatiques sur Youtube. C’est grâce à une démarche inclusive que nous pouvons définir le problème plus de pertinence et concevoir avec plus d’empathie.
Lina LIM UI-UX Designer @UX-Republic
(2) https://katholmesdesign.com/the-book
(3) https://www.fastcompany.com/90166413/what-youre-getting-wrong-about-inclusive-design
(4) https://www.who.int/disabilities/world_report/2011/chapter1.pdf
(5) http://edition.cnn.com/2010/TECH/02/09/deaf.internet.captions/index.html
(6) https://www.disabledlist.org
(7) https://www.youtube.com/watch?v=qiP_W1x0cV4
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