Le Flow, un concept clé pour les UX designers

Il existe un état étrange, que chacun d’entre-nous peut expérimenter. Un état dans lequel on ressent un bonheur intense. Il se produit lorsqu’on est concentré dans une activité que l’on maîtrise vraiment. On est alors tellement “absorbé” qu’on ne voit plus le temps passer… On oublie de boire, de manger, de dormir…

Mais découvrez d’abord les deux témoignages suivants…

Pelé

« C’était une sorte d’euphorie ; j’avais l’impression que je pouvais courir une journée entière sans fatiguer, que je pouvais dribbler n’importe quel joueur de l’équipe adverse, que je pouvais presque passer physiquement à travers eux. Je sentais que rien ne pouvait me blesser. C’était un sentiment étrange que je n’avais jamais ressenti auparavant. Peut-être n’était-ce que de la confiance, mais je m’étais senti confiant de nombreuses fois sans cette étrange sensation d’invincibilité. »
Pelé, footballeur
“My Life and the Beautiful Game” (1977)

 


 

Keith Jarrett« Dans ce concert, absolument tout, le timing, la structure d’ensemble de la prestation, la structure de chaque pièce, sa durée, sa fin, tout m’a été comme dicté… Je n’avais rien à faire d’autre que laisser mes doigts courir sur le clavier : la musique s’est donnée d’elle-même ».
Keith Jarrett, pianiste
Jazz magazine dec 2011, n°632

 

Ces deux exemples, un athlète et un artiste, nous décrivent un état très particulier. Une expérience de concentration optimale, où l’individu se sent très heureux, et parvient à accomplir des performances exceptionnelles.

Cette sensation s’appelle l’état de flow.


 

Mihaly Csikszentmihályi

En 1990, un psychologue hongrois, Mihaly Csikszentmihályi (Prononcez Mi-haï Chique-sainte-mihaï) publie ce qui deviendra l’ouvrage fondateur du concept, “Flow: The Psychology of Optimal Experience”, traduit en français en 2006 sous le titre “Vivre. La Psychologie du Bonheur” (Éditions Pocket)

Mihaly Csikszentmihályi books
“Flow: The Psychology of Optimal Experience”, traduit en français en 2006 sous le titre “Vivre. La Psychologie du Bonheur” (Éditions Pocket)
 

Le flow a trouvé son nom en 1975, lorsque Csíkszentmihályi a interviewé plusieurs personnes qui ont décrit leur expérience en expliquant qu’ils étaient portés comme par le courant dans une rivière.

Conférence de Mihaly Csikszentmihályi à l’événement TED 2004
Durée : 18:55 | Version sous-titrée en 34 langues

 


 

En psychologie positive, le flow (littéralement flux en anglais), ou la zone, est un état mental atteint par une personne lorsqu’elle est complètement plongée dans une activité, et se trouve dans un état maximal de concentration, de plein engagement et de satisfaction dans son accomplissement. Fondamentalement, le flow se caractérise par l’absorption totale d’une personne dans son occupation.
(Source : Wikipedia)

 


 

LES COMPOSANTES DE L’ÉTAT DE FLOW

 

Concentration optimale

L’individu habité par le flow est comme hypnotisé par sa tâche, il ne pense plus en dehors de ce qu’il fait. Cette concentration est soutenue sans effort pendant tout l’événement. Pas de fatigue, pas de lassitude, pas d’introspection, l’individu est dans la tâche. Aucune pensée extérieure ne vient perturber la performance.

 
 

Perte d’ego

Notre capacité d’attention étant très limitée*, notre cerveau, lorsqu’il se concentre sur une activité précise, a tendance à “débrancher”, à ignorer certains stimuli. Voilà pourquoi en état de flow il y a perte d’ego. L’individu est tellement concentré qu’il oublie ses besoins physiologiques primaires : boire, manger, dormir…

 

* CAPACITÉ D’ATTENTION

« Notre système nerveux est incapable de traiter plus de 110 bits d’information par seconde. Pour m’écouter et comprendre ce que je dis, vous devez traiter environ 60 bits d’information par seconde. C’est pour cela que vous ne pouvez écouter plus de deux personnes à la fois. »
Mihaly Csikszentmihalyi | TED2004

 

Altération de la perception du temps

En état de flow, il y a une perte de la perception du temps habituel. Le temps semble s’accélérer, donnant l’impression d’avoir fini sa tâche avant de s’en apercevoir ou bien l’impression d’avoir tout le temps devant soi. Le temps s’accommode des besoins de la performance, au-delà des contraintes physiques et environnementales.

 

Feedbacks instantanés

L’individu perçoit les difficultés et les solutions pour les surmonter de manière simultanée. Il évalue et réévalue en continu son processus de performance. Ce qui lui donne une idée claire de l’action suivante et vient encore diminuer la sensation d’incertitude.

 

Au delà de ces symptômes, un individu en état de flow est focalisé sur son activité car elle lui procure beaucoup de satisfaction. C’est ce qu’on appelle une expérience autotélique. L’activité est pratiquée pour elle-même, la récompense est le plaisir qu’elle rapporte.

L’état de flow décrit donc une expérience optimale, dans laquelle l’utilisateur est totalement engagé et y prend du plaisir. Pour un UX designer il est extrêmement intéressant de parvenir à produire cet état dans l’usage d’un produit ou d’un service. Pour cela, voyons quelles sont les conditions pour atteindre ce flow.

 


LES CONDITIONS DE L’ÉTAT DE FLOW

 

Pour atteindre un état de flow, il y a principalement trois conditions indispensables :

  1. Un équilibre entre difficultés et compétences
  2. Des objectifs clairs et définis
  3. Une motivation intrinsèque

 

1. ÉQUILIBRE ENTRE DIFFICULTÉS ET COMPÉTENCES

Le flow se produit lorsqu’il y a un équilibre entre la difficulté d’une tâche et le niveau de compétences d’une personne à la tâche donnée. Une tâche trop difficile entraînerait une augmentation de l’anxiété et de la frustration, alors qu’une tâche trop facile mènerait à l’ennui.


 

2. OBJECTIFS CLAIRS ET DÉFINIS

 

Pour rester concentré, l’utilisateur doit en permanence savoir quels sont ses objectifs. Il a donc besoin d’informations claires et précises à tout moment. Il ne faut pas qu’il hésite ou qu’il doute. Il doit éviter de réfléchir* trop longtemps lors de chaque tâche. Il est donc nécessaire de minimiser les distractions et tout ce qui peut provoquer une surcharge cognitive.

 

Steve Krug - Don't Make Me Think
Don’t Make Me Think, de Steve Krug

ÉVITER DE RÉFLÉCHIR — DON’T MAKE ME THINK !
Dans son livre “Don’t make me think!”, Steve Krug nous enseigne des fondamentaux à respecter pour obtenir une expérience qui s’approche de l’état de flow :

  • Chaque page devrait se suffire à elle-même et ne pas nécessiter d’explication, car un utilisateur est susceptible de débarquer sur le site à n’importe quelle page.
  • L’utilisabilité d’un système peut être considérée comme bonne quand une personne de capacité ou d’expérience moyenne peut accomplir son objectif.
  • La plupart des usages du web sont guidés par la motivation de gagner du temps.
  • Le bouton « Retour » est le plus utilisé sur les navigateurs.
  • Même s’il n’est jamais utilisé, le bouton « accueil » rassure les utilisateurs.

Enfin, pour bien connaître les principales causes de surcharge cognitive, lisez cette traduction d’un article de Smashing Magazine : Principes de lutte contre la surcharge cognitive (par Claire Zuliani) (Titre original : Reducing Cognitive Overload For A Better User Experience)

 

3. MOTIVATION INTRINSÈQUE

Un individu intrinsèquement motivé va s’impliquer dans une activité pour le simple plaisir qu’elle lui procure, et non pour une récompense extérieure à cette action.

 

De la même manière qu’un jeu procure du plaisir, un produit ou un service dont l’usage procure du plaisir deviendra une expérience autotélique. Il est ainsi important d’intégrer un aspect de gamification dans la plupart des projets UX.

 


 

ASPECTS UX DE L’ÉTAT DE FLOW

Une fois qu’on a saisi la théorie pour atteindre ce flow, reste à comprendre comment l’appliquer. Un utilisateur en état de flow c’est un peu le Saint Graal pour un UX designer : beaucoup le cherchent mais peu le trouvent.

On le sait, les GAFAM sont passées maîtres dans l’art de capter l’attention. On ne détaillera pas ici comment les géants du Web parviennent à vous mettre dans un état qui semble parfois proche du flow (cela fera l’objet de prochains articles), mais retenez déjà quelques notions clés : gamification, attention et simplicité.

Gamification et attention

Pourquoi faire jouer l’utilisateur ? Tous les animaux jouent pour apprendre, y compris nous, humains. Lorsqu’on joue on est étonnamment plus concentrés et plus attentifs aux signaux reçus. Quand on joue on est également plus motivé pour accomplir des actions. Un des exemples les plus connus de gamification : les programmes de fidélité. Vous achetez un produit, vous gagnez des points, vous obtenez des récompenses, vous changez de statut, vous entrez dans une communauté et dans une forme de compétition. C’est American Airlines qui lance en 1981 le tout premier programme de fidélité. Depuis toutes les entreprises ont suivi… jusqu’à saturation.

“Dans une société dont les capacités de concentration sont passées de douze à huit secondes en moyenne en dix ans (c’est Microsoft, le roi des écrans, qui le dit), le flow est une sorte de crème de jour miracle qui pourrait nous faire renouer avec l’attention.”
Source : Slate.fr

Aujourd’hui, dans un monde d’infobésité, de surcharge d’information, voire d’intox…il est essentiel de comprendre ce qui permet à tout être humain de passer un bon moment lorsqu’il veut acheter un billet d’avion, une assurance ou lorsqu’il veut déclarer ses revenus. Les sites et applications qu’il va expérimenter tendent de plus en plus à inclure des aspects ludiques. Donc faites jouer vos utilisateurs !

Simplicité

Nokia E9O vs iPhoneLe 11 février 2007 Nokia présentait le E90 au Salon mondial du mobile à Barcelone. Un téléphone à vocation professionnelle, avec pavé numérique en facade, ouverture à clapet, écrans externe et interne, clavier à touches plastiques, 210 grammes… Quelques jours plus tôt, le 9 janvier 2007, un certain Steve Jobs présentait au monde le tout premier iPhone… écran tactile, un seul bouton en façade, 135 grammes… Bref comment faire compliqué quand on peut faire simple !
(Merci à Raphael Djazz pour l’inspiration).

Or les Lois de l’UX ne parlent que de simplicité. En voici quelques unes :

  • Le temps nécessaire pour cliquer sur un élément est fonction de la distance et de la taille de l’élément. Donc faites de gros boutons. (>> Loi de Fitts)
  • Le temps de la décision augmente selon le nombre et la complexité des choix. Donc réduisez. Faites plus avec moins (>> Loi de Hick)
  • Les utilisateurs passent la plupart de leur temps sur d’autres sites. Cela signifie que les utilisateurs préfèrent que votre site fonctionne de la même manière que tous les autres sites qu’ils connaissent déjà. (>> Loi de Jakob)
  • Les gens sont davantage en mesure de traiter visuellement et de se souvenir de figures simples que de figures complexes. Donc faites des interfaces simples. (>> Loi de Prägnanz)
  • Les objets proches les uns des autres ont tendance à être regroupés. Donc groupez (>> Loi de proximité)
  • L’œil humain a tendance à percevoir des éléments similaires dans une image même si ces éléments sont séparés. Donc faites liens et boutons visuellement différents des éléments de texte normaux et dans un style cohérent. (>>Loi de similarité)

LawsOfUX.com

Retrouvez au passage toutes les lois de l’UX sur https://lawsofux.com/

 
 


 

Pour résumer, l’état de flow peut se déclencher dans des conditions très précises, mêlant équilibre entre difficultés et compétences, motivation par le jeu et quelques règles de simplicité… Ça semble assez difficile à atteindre, et pourtant, à force d’itérations, de plus en plus de produits deviennent des expériences mémorables, voire même addictives.

 
Adrian KOSS, UX Designer @UX-Republic