CONCEVOIR L’EXPÉRIENCE UTILISATEUR DE CULTURES DIFFÉRENTES : L’internaute arabophone

Naviguer sur un site arabophone diffère en de nombreux points
d’une interface latine, en raison de comportements et d’habitudes spécifiques à ces localités.

Appréhendons ensemble les spécificités des cultures arabophones, et tentons de comprendre ensemble les enjeux business de l’expérience utilisateur au Moyen et au Proche-Orient.

Peut-être vous êtes vous déjà retrouvé par inadvertance sur la version arabophone d’un site Internet. Avant un éventuel retour de page en arrière, votre œil s’est alors attardé sur la recherche du changement de langue, mais sans succès.

Mais alors pourquoi ? Bien plus que le simple spectre de compréhension de la langue arabe, l’expérience utilisateur arabophone dépend plutôt de facteurs et de conditions qui diffèrent d’une interface “classique” latine.

En croisant les statistiques des langues les plus recherchées sur Internet, un constat : la langue arabe arrive quatrième du classement, mais elle ne représente qu’un trafic de 0,6% – une goutte d’eau devant l’anglais sur le web, qui totalise 54% !

Autre information : le Qatar est habité par 2,6 millions d’habitants… et près de 96% de sa population utilise Internet !
À titre de comparaison, la France représente un taux de 80,5%.
À n’en point douter, les sites arabophones vont se multiplier dans les années à venir.

Afin d’appréhender le sujet de façon simple et concise, abordons ensemble les spécificités culturelles d’une interface arabophone…

Initiation aux cultures
du Moyen-Orient

L’expression a été inventée par les occidentaux au début du XXe siècle pour désigner cette région du monde, découpée en réalité par le Proche et le Moyen Orient, et qui comprend les pays
suivants : la Palestine, la Jordanie, l’Irak, Israël, la Syrie, la Turquie et le Liban (pour les pays du Proche-Orient), l’Arabie saoudite, le Yémen, l’Oman, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Bahreïn et le Koweït (pour la péninsule arabique), et l’Égypte (pour la vallée du Nil).
Selon le contexte et les interprétations, l’ensemble est parfois confondu sous l’appellation Moyen-Orient.

Qu’est-ce que le Moyen-Orient ?

À noter que les spécialistes et les diplomaties peuvent inclure géographiquement l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan. Les États-Unis vont jusqu’à englober la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye dans ce concept, quand l’Europe parlera plutôt des pays du Maghreb.

En marketing, il est intéressant de constater que selon les sites internet, la régionalité change.
Pour H&M par exemple, l’Égypte ou le Maroc sont exclus du Moyen-Orient.
Chez Saint Laurent, le Middle East n’existe même pas, et les Émirats Arabe Unis sont associés au continent asiatique.

D’après constat en mai 2019 des sites Saint Laurent et H&M.

La complexité linguistique

Les cinq langues les plus parlées du monde arabe sont le persan, le turc, le kurde, l’hébreu et l’arabe. 

La langue arabe, sur laquelle nous allons nous attarder, peut se résumer en trois courants : une langue dialectale, une autre littéraire, et la langue coranique.

Chaque utilisation de l’arabe se fait dans un contexte : on parlera en effet un dialecte entre intimes ou en famille, lorsqu’on lit les journaux en arabe littéraire.

Internet s’accorde sur cet arabe littéraire, un arabe dit “éloquent” ou “classique”, enseigné à tous dans le système scolaire.

L’arabe littéraire, sur lequel nous allons nous appuyer, concerne officiellement 25 pays. Il est utilisé par près de 500 millions de personnes.

La langue se lit de droite à gauche (RTL pour Right To Left), de même qu’elle s’écrit en ce sens ; un héritage des scribes égyptiens qui tenaient leur papyrus de la main gauche.

Fait suffisamment intéressant pour être relevé, cela ne veut pas dire que l’on change de main : les utilisateurs arabophones sont majoritairement droitiers.

Le sens de lecture impacte grandement votre interface jusque dans les moindres détails.

Cas particulier : l’anglais

Sur certaines interfaces cohabitent l’anglais et le l’arabe, de même que certaines interfaces à destination d’un public arabophone proposent uniquement une version anglaise non-traduite.

Pourquoi ? Les habitants de ces pays privilégient l’anglais comme langue secondaire dans un contexte professionnel, mais pas tant dans la vie courante. On trouve des publicités dans les deux langues, mais il est recommandé de minimiser l’usage de l’anglais, réservé à une caste.

L’iconographie, sujette à tous les ordres

Les pays arabophones sont réputés contraignants, en particulier dans les pays de la péninsule arabique qui utilisent une censure forte en vertus des lois morales et religieuses.

Si cette censure s’avère contraignante pour les marques, elle doit faire l’objet d’une attention particulière aussi pour l’expérience utilisateur, en raison des lois en vigueur qui imposent aux annonceurs certaines contraintes, comme la présence d’une certification de vente ou l’économie de l’attention des objets plutôt que des modèles humains.

Les couleurs également sont un point
de vigilance

Le vert par exemple, utilisé dans les pays occidentaux comme une couleur terrestre associée à la nature et à l’écologie, est la représentation de l’Islam.
La plupart des Arabes l’associeraient plutôt à la paix, à la spiritualité et à la générosité divine.

Passage en revue
des pratiques utilisateurs

Les icônes

Les icônes sont indubitablement un élément indispensable dans la conception d’une interface.

Quand certains business utilisent les icônes pour signifier du texte, d’autres remplacent carrément ce texte par des pictogrammes.

Sur une interface arabophone, il faut veiller au sens de lecture de ces pictogrammes, qui se retrouvent inversés… mais pas tous !

  • Les icônes indiquant une direction, un mouvement ou un état physique, doivent être inversés,
  • Les icônes représentant du texte aussi,
  • L’icône de volume également,

Ne sont pas concernés par cette mesure :

  • Certains objets physiques, et notamment ceux utilisés avec la main droite,
  • Les icônes barrées,
  • Les emojis,
  • Les icônes temporelles.

Il est parfois nécessaire d’inverser le design de votre pictogramme, pour l’adapter à une lecture arabophone. Les icônes non concernées relèvent de standards.

Les animations

Dans une moindre mesure, il faut veiller au sens des animations : que vous écoutiez de la musique ou regardiez une vidéo par exemple, la barre de progression ne change pas de sens.

Toutefois, pour un carrousel ou une navigation latérale, son sens change : un internaute arabophone cliquera naturellement à gauche du carrousel pour passer à la diapositive suivante (ou un swipe de la gauche vers la droite sur mobile).

Ci-dessous : le carrousel du site Piaget respecte le sens de lecture. Les animations défilent correctement.

Le sens de lecture des boutons de contrôle est aussi inversé :
l’icône la plus à droite représente en réalité le premier état, quand celle à gauche est le dernier état.

La typographie

La typographie arabe nécessite une attention particulière : les mots arabes sont souvent plus longs, ce qui peut parfois prendre plus de place sur votre interface.

Afin de garantir un confort de lecture, il est recommandé d’ajouter deux points minimum à une typographie comparée à son équivalent latin.

Enfin, veillez à toujours aligner votre bloc de texte à droite.

Les éléments d’interaction

Les formulaires changent de sens. Forcément avec un sens de lecture de droite à gauche, les libellés doivent être alignés à droite, de même que le texte que l’utilisateur saisit.

Vous avez une icône pour supprimer le texte de votre champ ? Il sera donc naturellement placé à gauche.

De plus, les boutons sont aussi impactés par le sens de lecture RTL, qui vient se retrouver à la gauche de votre champ comme c’est parfois le cas.

Les formulaires subissent un alignement de texte à droite, quand l’alignement central est commun pour les boutons.

Les interfaces en miroir

Pour correspondre au sens de lecture arabe, les interfaces sont impactées : l’utilisateur lisant de droite à gauche, tous les paragraphes et les boutons respectent cet ordre.

Pour un contenu éditorial, il est attendu que le contenu se retrouve aligné à droite de la page, visuels compris.

Concernant le contenu marchand, l’utilisateur commencera sa lecture de page par la barre de filtre sur le côté droit, quand elle n’est pas en haut, pour ensuite s’attarder sur les éléments de page (visuel, texte).

Les pages de détails montrent véritablement toute la complexité de l’interface, avec ce principe d’inversion appliqué au site.

Quelles perspectives pour nos métiers ?

Il y a quelques mois, Facebook a mis à jour son application mobile pour proposer une interface entièrement traduite en arabe.

En octobre 2018, c’est H&M qui a lancé une version arabophone de son site e-commerce, le premier à destination des Émirats arabes unis.

Enfin, en mai 2019, juste à temps pour Ramadan, c’est Amazon qui se lance officiellement en langue arabe, en laissant de côté le site que l’entreprise avait lancé deux ans avant, Souq.com.

Ces lancements tardifs s’inscrivent dans une tendance et ne sont pas anodins : après la conquête du continent asiatique, et notamment la Chine dont les perspectives économiques sont intéressantes, les marques s’implantent dorénavant dans les localités arabophones pour rattraper leur retard, et se faire un nom face à des concurrents locaux émergents ou implantés.

Take away

Faut-il designer pour les localités ? Définitivement, oui !

Dans une étude rédigée en 2011 par le groupe Nielsen Norman, la compagnie révèle que les utilisateurs arabes accordaient davantage de crédit aux sites internets internationaux.

En fait, les utilisateurs affichaient un manque de confiance envers les sites locaux et craignaient des vols de numéro de CB. Avec l’avènement du web arabophone et le lancement de grandes marques sur la toile dans la région, on se prête à penser qu’enfin les choses vont bouger, et pourquoi pas qu’une connaissance de l’UX va pouvoir être diffusée.

Avec l’avènement du web arabophone et le lancement de grandes marques sur la toile dans la région, on voit bien que le rôle du designer est aussi prépondérant dans ce changement de mentalité.

  • Tel un anthropologue, plutôt que de considérer les utilisateurs comme un tout, étudier les aspects physiques et culturels de votre cible est primordial.
  • Vous souhaitez réaliser des entretiens utilisateur en local ?
    Faites appel à des agences en pays qui sur le terrain, peuvent vous aider à mener vos entretiens.
  • Considérez le futur de votre interface : prenez le temps d’étudier la part envisagée pour un autre public afin d’optimiser vos ressources.
  • Le mirroring n’est pas sans conséquence sur l’interface.
  • Pensez à tester auprès de votre cible pour vérifier sa bonne compréhension auprès de l’utilisateur.

Pour aller plus loin…

Stereotype world: the Middle East speaks up!, Fly With Haifa

Cette vidéo en musique de la Youtubeuse Fly With Haifa, veut tordre le cou aux stéréotypes et concilier tradition et modernité, dans un clip coloré faisant référence aux cultures arabophones.

Julien, UX Designer @ UX-Republic