Lorsque nous interagissons avec une interface numérique, nos choix et nos actions sont souvent influencés par des éléments de design subtils et stratégiquement placés. Ces éléments ne sont pas seulement là pour améliorer l’expérience utilisateur, mais aussi pour persuader et encourager des comportements spécifiques. C’est là que les “persuasive design patterns” entrent en jeu.
Comprendre les persuasive design patterns
Les persuasive design patterns (ou en français les motifs de conception persuasifs) sont des techniques de conception utilisées pour influencer le comportement des utilisateurs. Inspirées par des principes de psychologie et de comportement, ces techniques visent à inciter les utilisateurs à prendre des actions souhaitées par les concepteurs. Par exemple, lorsqu’un site de commerce électronique utilise des indicateurs de “scarcité” pour mettre en avant des offres limitées dans le temps, cela incite souvent les utilisateurs à acheter plus rapidement, de peur de rater une opportunité.
En contraste avec les persuasive design patterns, il existe ce que l’on appelle les “dark patterns” (ou schémas sombres). Ces techniques de conception sont utilisées de manière trompeuse et manipulatrice pour inciter les utilisateurs à prendre des actions qui ne sont pas dans leur meilleur intérêt. Par exemple :
- Opt-out précoce : forcer les utilisateurs à décocher une option pour éviter quelque chose (comme une inscription à une newsletter), au lieu de les laisser choisir activement de s’inscrire.
- Bait and switch (appât et switch) : attirer les utilisateurs avec une offre alléchante pour ensuite changer les conditions ou les options disponibles une fois qu’ils sont engagés.
- Misdirection (détournement) : utiliser des éléments de design pour diriger subtilement les utilisateurs vers des actions qu’ils n’avaient pas l’intention d’effectuer, comme cliquer sur des publicités déguisées comme des éléments de contenu principal.
À travers cet article, nous allons vous présenter certains des design patterns persuasifs, regroupés en plusieurs grandes catégories telles que : la cognition, les mécanismes de jeu, la perception et la mémoire, le feedback et le social.
1️⃣ La cognition (cognitive)
Elle regroupe trois sous-catégories : “loss aversion”, “other cognitive biases”, “scarcity”. Nous allons les illustrer avec plusieurs exemples :
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Ikea effect (effet IKEA)
Nous accordons une valeur disproportionnée aux produits que nous avons contribué à créer.
Bonnes pratiques : pour maximiser la satisfaction client, il est recommandé d’impliquer activement les utilisateurs dans la conception et la construction des produits. Par exemple, permettre aux utilisateurs de personnaliser leurs produits peut renforcer leur attachement émotionnel et augmenter leur disposition à payer un prix plus élevé. Cependant, il est crucial de trouver un équilibre afin que les tâches ne deviennent pas trop difficiles, ce qui pourrait décourager la participation et diminuer l’effet positif de l’implication utilisateur.
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Limited Choice (limite le choix)
Lorsqu’il y a trop d’options disponibles, les utilisateurs peuvent se sentir submergés et hésiter à prendre une décision. Pour encourager des décisions plus rapides et réduire la complexité de l’interface, il est recommandé de limiter le nombre d’options proposées.
Bonnes pratiques : réduisez les options disponibles en simplifiant le choix et en présentant moins d’options à la fois. Présentez les choix complexes en premier, en structurant les choix de manière logique et progressive. Offrez un nombre optimal de choix pour éviter que les utilisateurs ne se sentent trop pressurisés ou confus. Créez des parcours utilisateur clairs et directs pour guider les utilisateurs vers la prise de décision.
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Priming Effect (effet d’amorçage)
L’effet d’amorçage se manifeste lorsque nos décisions sont inconsciemment influencées par des expériences récentes. Par exemple, l’exposition à des mots, des signes ou des images spécifiques peut ancrer des idées dans notre esprit, facilitant ainsi la reconnaissance et le traitement d’options liées à ces expériences ultérieures. Cela crée une fluidité cognitive, rendant l’information plus facile à traiter plus tard.
Bonnes pratiques : pour utiliser efficacement le priming dans la conception, il est recommandé d’incorporer des métaphores et des images pour déclencher des émotions et des associations pertinentes. Par exemple, les couleurs, les photos et les vidéos peuvent évoquer des émotions spécifiques qui guideront les utilisateurs vers le choix souhaité. L’objectif est de rendre l’expérience utilisateur plus intuitive en créant des associations mentales positives avec le contenu présenté. Utilisez cette technique pour guider les utilisateurs vers le choix souhaité et susciter les émotions nécessaires pour une future décision.
2️⃣ Les mécanismes de jeu
Ils regroupent également trois sous-catégories : gameplay design, fundamentals of rewards, gameplay rewards.
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Hedonic adaptation (adaptation hédonique)
L’adaptation hédonique décrit comment nous revenons à un niveau stable de bonheur malgré des événements majeurs positifs ou négatifs. Peu importe la nouveauté de l’expérience, nos sentiments finissent par revenir à la normale, ajustant notre niveau de bonheur à une nouvelle base. Par exemple, recevoir une augmentation de salaire procure un bonheur immédiat, mais le sentiment s’estompe rapidement à mesure que nous nous y habituons. Réfléchissez à la façon dont vous pouvez maintenir les utilisateurs dans un état de légère envie permanente de garder les attentes basses et les utilisateurs heureux.
Bonnes pratiques : pour maximiser la durée du bonheur des utilisateurs, il est recommandé de fragmenter les expériences positives. En libérant progressivement des produits ou du contenu, on crée une anticipation et un enthousiasme continus. Par exemple, limiter l’accès à certaines fonctionnalités ou à du contenu exclusif peut fonctionner comme une récompense très attendue, maintenant les utilisateurs dans un état de désir permanent mais modéré. L’objectif est de maintenir les attentes basses et les utilisateurs heureux en créant un cycle de gratification continue.
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Shaping (façonnage)
Aussi connu sous le nom de conditionnement, c’est une technique pour encourager l’adoption de comportements souhaités en renforçant progressivement les approximations vers un comportement cible.
Bonnes pratiques : pour utiliser efficacement le façonnage, décomposez le comportement cible en petites étapes réalisables. Par exemple, pour aider quelqu’un à développer la capacité de parler en public, commencez par des actions simples comme se tenir debout devant un miroir, puis pratiquer des présentations devant des amis proches. Introduisez des récompenses pour encourager chaque étape vers le comportement final et des punitions pour dissuader les comportements non souhaités. Cela permet de guider les utilisateurs vers l’adoption réussie de comportements complexes tout en minimisant l’anxiété ou la résistance initiale.
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Delighters (délice)
Les délices, ou excitateurs, exploitent notre réaction positive envers des plaisirs nouveaux, inattendus et ludiques. Ces éléments mémorables peuvent transformer une expérience ordinaire en une expérience agréable et distincte, aidant ainsi votre produit à se démarquer dans un marché compétitif.
Bonnes pratiques : pour maximiser l’impact des délices, intégrez des éléments comme une microcopie ludique, des surprises visuelles comme des « Easter Eggs » qui sont une fonctionnalité cachée, souvent ludique ou surprenante, que les développeurs intègrent intentionnellement. Ces surprises peuvent être des messages, des animations, des mini-jeux, ou des fonctionnalités secrètes qui ne sont pas évidentes à découvrir pour l’utilisateur moyen comme le Google Dino Game et bien autre. La clé est d’administrer la nouveauté et la surprise de manière modérée pour éviter une accoutumance négative. Dans un marché saturé, ces tactiques peuvent attirer l’attention, augmenter le rappel de marque et stimuler le bouche-à-oreille positif.
3️⃣ La perception et la mémoire
Elle regroupe deux sous-catégories : l’attention et la compréhension.
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Zeigarnik Effect (l’effet Zeigarnik)
Il décrit notre tendance à mieux nous souvenir des tâches que nous n’avons pas terminées ou qui ont été interrompues par rapport à celles que nous avons achevées.
Bonnes pratiques : Pour utiliser efficacement l’effet Zeigarnik, fragmentez les expériences complexes en étapes plus petites et assurez-vous de signaler clairement la progression vers la réalisation des tâches. Utilisez des rappels pour maintenir l’engagement des utilisateurs envers les tâches inachevées, en leur montrant ce qui reste à faire et en les encourageant à finaliser chaque étape.
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Serial Positioning Effect (effet de positionnement en série)
Ou l’effet de sérialité, il indique que nous avons une meilleure mémoire pour le premier et le dernier élément d’une série par rapport aux éléments du milieu.
Bonnes pratiques : pour tirer parti de l’effet de positionnement en série dans la conception, ayez une organisation stratégique comme par exemple en organisant les éléments importants au début et à la fin de la liste pour améliorer leur mémorisation. Les éléments initiaux bénéficient de l’effet de primauté, tandis que les éléments finaux sont plus facilement rappelés grâce à l’effet de récence. Si vous souhaitez influencer une décision immédiate, placez l’option préférée à la fin de la liste. Pour des décisions différées, présentez cette option dès le début. Concevez votre interface pour mettre en avant les informations pertinentes afin d’aider les utilisateurs à atteindre efficacement leurs objectifs. Utilisez des indices visuels ou sonores pour faciliter la reconnaissance des actions précédemment vues et rappelez leur importance.
4️⃣ La rétroaction, avec une partie sur le timing
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Kairos
Cela fait référence aux moments critiques où les gens sont les plus ouverts au changement. Cela peut être lors d’événements importants comme acheter une première voiture ou pendant des habitudes récurrentes comme faire ses courses. Ces moments sont précieux car ils offrent des opportunités uniques pour influencer les décisions des utilisateurs. Kairos vous permet d’augmenter vos chances de succès en influençant les comportements des utilisateurs au moment où ils sont le plus réceptifs au changement
Bonnes pratiques : identifiez ces moments critiques dans la vie des utilisateurs, comme les grands événements ou les habitudes régulières. Personnalisez vos messages et offres pour correspondre à ces moments précis, plutôt que de diffuser des messages génériques tout le temps. Utilisez les informations contextuelles pour choisir le bon moment pour agir, en tenant compte des événements récents et des besoins actuels des utilisateurs.
5️⃣ Le social avec les biais sociaux
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Halo effect
Il désigne un phénomène psychologique où les premières impressions d’un produit ou d’une organisation influencent fortement les opinions globales des utilisateurs. Si une première expérience est positive, cela conduit souvent à une meilleure perception générale de la fiabilité, de l’intuitivité et de la sécurité du produit ou de l’entreprise.
Bonnes pratiques : soignez les premières impressions et assurez-vous que les premières interactions avec votre produit ou votre service sont positives et mémorables. Cela peut inclure l’interface utilisateur, le service client, ou même la présentation du produit. Capitalisez sur la cohérence et maintenez une qualité élevée dans tous les domaines, ce qui renforce le Halo effect global. Surveillez également sa réputation car les consommateurs ont tendance à préférer les marques qu’ils connaissent et en qui ils ont confiance. Une bonne réputation peut influencer favorablement la perception des nouveaux produits d’une marque. En créant des impressions positives dès le départ et en maintenant la qualité à travers toutes les interactions, vous pouvez renforcer la fidélité des utilisateurs et augmenter l’impact positif sur vos performances commerciales.
Il existe encore de nombreux autres persuasive design patterns (plus de quatre-vingt-dix), chacun visant à influencer subtilement le comportement des utilisateurs à travers divers principes psychologiques et de conception.
Conclusion
L’application judicieuse de ces patterns dans la conception UX peut transformer significativement la façon dont les utilisateurs interagissent avec les interfaces numériques et les produits. En comprenant et en intégrant ces techniques, les concepteurs peuvent non seulement améliorer l’expérience utilisateur mais aussi atteindre les objectifs commerciaux plus efficacement. Il est essentiel de sélectionner et d’adapter les patterns en fonction des besoins spécifiques de chaque projet et des comportements cibles des utilisateurs, tout en restant attentif à maintenir une éthique et une transparence dans l’utilisation de ces techniques de persuasion.
Liens inspirations :
- https://uxbooth.com/articles/the-power-and-danger-of-persuasive-design/
- https://uxplaybook.org/articles/ux-dark-patterns-and-ethical-design
Liens vers une liste détaillée des design patterns existants :
Anaëlle Staelen, UX/UI designer et Product designer chez UX-Republic