L'espace de travail : mémoire(s) et conduite de projet

mémoire spatiale, court terme et réflexion collective

On retrouve la question de l’environnement de travail dans l’approche du Design Thinking. Celle-ci place l’humain au coeur de sa démarche. En nous basant sur ses principes, nous verrons que tout est une question de juste milieu et qu’il s’agit de délimiter l’espace, en attribuant un espace au projet.

“Bien qu’il semble incroyablement abstrait, le design thinking est en fait concrètement ancré dans les équipes et les projets, bien sûr, mais aussi dans des espaces physiques dédiés à l’innovation.

Tim Brown, Change by Design (2010)

L’espace est-il un facteur déterminant dans le bon déroulement d’un projet ?

Depuis quelques années, nous pouvons observer un fort engouement pour les “open spaces” au détriment des espaces clos. Des “plateaux ouverts” pensés pour faciliter et libérer la communication entre collaborateurs afin d’améliorer le travail d’équipe. Axés sur le “bien-être” du salarié, ils sont avantageux économiquement pour les entreprises qui observent une baisse importante de leurs charges (réduction de la superficie pour le même nombre de salarié, si ce n’est plus).  
Pourtant, une étude menée par Stéphan Turban et Ethan S. Bernstein (deux professeurs de la Harvard Business School) tend à montrer que ces environnements n’auraient pas l’effet escompté puisque l’on y observe une baisse de 73% des échanges en comparaison avec des employés d’espaces cloisonnés.

Il est admis que l’espace joue un rôle en entreprise, dès lors comment envisager l’aménagement de l’espace au travail ? A-t-on mesuré son importance notamment dans le cadre de la conduite de projets  ?

Des espaces ouverts oui… mais des espaces dédiés !


Les espaces ouverts ont le vent en poupe ! Mais ils ne sont pas pour autant aussi bien perçus par les principaux intéressés :

Depuis un peu plus d’un an, nous avons échangé nos bureaux individuels contre des open spaces (…) La vie a beaucoup changé (…) La convivialité, non, non c’est pas vrai, c’est pas du tout la convivialité (…) les gens n’osent pas parler, ils parlent tout doucement (…) Vous ne parlez pas aux personnes. Vous reveniez de weekend auparavant. Vous rentriez dans le bureau, vous parliez à une personne. On arrivait à deux, trois… On allait prendre un café…

Témoignage d’Anne-Marie, auditrice de l’émission le Téléphone Sonne sur France Inter.
Tout le monde n’y adhère pas forcément. Dans le cas d’Anne-Marie, les collaborateurs n’osent pas parler (ce qui n’est pas propice à la collaboration qui nécessite des échanges) et dans d’autres cas ce sont les nuisances sonores qui posent problème (conversations interpersonnelles, appels, claviers d’ordinateurs, imprimantes …). On parle de misophonie, non propices à la concentration.
Ainsi selon une étude d’OpinionWay pour l’entreprise CD&B, spécialisée dans la transformation des espaces de travail : 82% des sondés estiment que le bureau individuel fermé permet une meilleure concentration, et 50% qu’il favorise la productivité. L’individu est pris entre deux contradictions et il ne sait plus comment agir.

Vers un retour en arrière ?

À travers la scénarisation de nos espaces et certains codes, nous cherchons à créer un état d’esprit (…) Les espaces doivent être autant fonctionnels qu’émotionnellement confortables.”

Véronique Hillen (doyenne de la D. school), dans 101 repères pour innover
En attribuant une fonction à un espace, les individus vont adopter l’état d’esprit qui correspond à ce lieu. D’un point de vue macro, ça pourrait ressembler à “Je ne vais pas agir de la même manière à la maison qu’au bureau”.  Aménager l’espace et définir des “codes” permet à l’individu d’adopter le bon comportement au sein de ce lieu.
Véronique Hillen s’est beaucoup intéressée à la silicon Valley et aux environnements liés à la création de produit. D’après elle, bien qu’en apparence ces lieux peuvent paraître désorganisés, il sont en fait “structurés”. Elle définit ainsi “9 points de repères” : La cuisine, la bibliothèque, l’espace projet, l’espace zen, la brainstorming room, l’espace fun, 7s shop / l’atelier, la matériauthèque, le salon.
La scénarisation des espaces va conditionner l’individu. Il adoptera le bon mindset et le comportement attendu grâce à des codes prédéfinis mais aussi dans l’aménagement de l’espace qui lui est proposé. Lors des meetups par exemple, la disposition des chaises en rangées tournées vers l’orateur favorise la posture d’écoute de “l’auditoire” : on retrouve cette disposition au cinéma, dans les universités en amphithéâtre, ou encore au théâtre.

Meetup Star d’UX – Temps & Erreur, 2 facteurs clés de l’UX-Design

La disposition de la salle en U sera propice non seulement à l’écoute mais aussi à l’échange entre les participants. De même, si j’organise un atelier et que je souhaite une participation active de la part des différents acteurs. Je vais les inciter à rester debout afin qu’ils adoptent une posture dynamique, qu’ils soient engagés physiquement.

Réunion métier UX-Designers et PO pendant l’UX-Day #39 chez UX-Republic

Je vous conseille de supprimer les chaises afin de les encourager. Je sais d’expérience que laisser des chaises lors d’un brainstorming par exemple est une mauvaise idée… En laissant les chaises, le risque et que ce soit le facilitateur qui redouble d’effort afin de noter et d’afficher toutes les idées. Pourtant ces ateliers sont co-créatifs : tout le monde doit participer ! Les participants se sentiront encore plus impliqués dans le projet.

Diversifier les lieux, permet de sortir du projet.

Ainsi dissocier la brainstorming room de la salle dédiée au projet, nous permettra de littéralement sortir du projet. Une coupure symbolique, physique et mentale afin d’aller rechercher de nouvelles idées, tenter peut-être de prendre du recul et d’être un peu plus objectif.

“L’espace projet” important pour son bon déroulement


En open space l’équipe est dispatchée car il n’y a pas de place attribuées. Bien sûr, des salles de réunion sont mises à disposition mais encore faut-il qu’elles soient libres et sur la durée. Avoir un espace dédié au projet permettra à chacun des membres de l’équipe de se retrouver, quotidiennement et sans perpétuelles contraintes de logistiques.
De plus, cela leur permettra d’adopter un comportement adéquat et surtout similaire. Ensemble, ils se mettront dans un même “mode”. Ils auront le même état d’esprit, la même optique de travail, facilitant ainsi leur collaboration et la synergie au sein de l’équipe. Les espaces dédiés aux projets étant souvent un point négligé, si rien ne vous est mis à disposition, vous pourrez toujours le créer :

Si vous ne disposez pas de salles de conférences dédiées uniquement à votre sprint, vos tableaux blancs à roulette pourront toujours servir de cloison, vous permettant ainsi de délimiter un espace ad hoc

Jake Knapp, Sprint (2016)

Une matérialisation du cerveau collectif pour une meilleure visualisation des concepts


Une collaboration suggère une pluralité d’individus, des personnes pluridisciplinaires, aux points de vues différents. Des humains aux représentations du monde diverses, façonnées par leurs environnements, leurs relations, leurs propres expériences, leurs capacités, leurs perceptions sensorielles et leurs émotions. Ces facteurs influencent la perception du message perçu dans une communication. Le récepteur risque de mal interpréter le message ou pire de ne pas le comprendre. Visualiser un concept peut aider à sa compréhension.

Après tout ne dit-on pas que… “Une image vaut mille mots.” (Confucius) 

La preuve en est que : ce schéma illustre bien les visions divergentes entre les différentes acteurs d’un projet.

 Source  Any Ideas. Apprenez-en plus sur les origines de l’image de la balançoire à businessballs.com.

Lorsque nous échangeons dans le cadre d’une communication interpersonnelle par exemple, nous allons solliciter la “mémoire de travail”. C’est celle qui va nous permettre de garder l’information, de la traiter instantanément (en la confrontant avec nos “connaissances générales du monde”, des connaissances acquises) afin de rebondir dessus.

Mémoire de travail
Forme de mémoire à court terme. L’information y sera stockée “provisoirement” car elle ne peut contenir en moyenne que 7 +/- 2 informations.

Il s’agira donc de “mémoriser” au sein de ce cerveau collectif l’ensemble des concepts, des informations intéressant au projet  afin de les réutiliser, de les développer ou même de les articuler ensemble à un moment donné. Pour cela intéressons nous au mécanisme de mémorisation d’un cerveau humain qui va nous permettre de retenir un concept de manière à le réutiliser ultérieurement, un processus expliqué par Maxime Tarcher, psychologue et conférencier. Une technique que l’on pourrait appliquer par biomimétisme à notre cerveau collectif.

Biomimétisme
Démarche d’innovation durable qui consiste à transférer et à adapter à l’espèce humaine les solutions déjà élaborées par la nature

Ainsi il s’agira de comprendre le concept, de le baliser en le matérialisant visuellement et en le disposant au sein de l’espace dédié au projet (“dans un coin de notre cerveau”). Cette information sera stockée dans notre cerveau collectif, plus facile d’accès car sollicitant notre mémoire spatiale. Elle pourra être consultée puis “ré-expliquée” en s’articulant avec d’autres informations, axes de réflexions ou concepts puisque comme le spécifie Tim Brown :

“La visibilité simultanée des divers éléments du projet nous aide à identifier des schémas récurrents et encourage la synthèse créative, bien mieux que lorsque ces ressources sont enfouies dans des dossiers, des carnets ou des présentations Power Point.”  

Tim Brown, PDG d’IDEO, L’esprit Design

La notion d’espace est bien entendu lié à la notion de temps. Notre réflexion mûrit au fil du temps. C’est pourquoi il est important de garder cet espace tout au long du projet.
Nous l’avons vu, l’espace est un facteur déterminant dans le cadre d’un projet puisqu’il permet de conditionner les individus.  Adopter la même optique de travail favorise la synergie et la cohésion du groupe. On aura un alignement clair de l’/ des objectif/s à atteindre notamment par la matérialisation du cerveau collectif avec un lieu dédié au projet.
Cependant l’espace ne se limite pas à nos locaux, c’est par nos expériences, nos échanges, que l’on nourrit notre réflexion…

Innover, et encore moins apprendre à innover, n’est pas un exercice intellectuel qui se pratique dans les murs d’une salle, d’une entreprise ou d’une école. La pertinence de l’exploration ne s’affine que par et à travers la rencontre avec le monde extérieur.

Veronique Hillen, 101 repères pour innover

… so get out ! 😉

TAKE AWAY

  • Dédiez un espace au projet afin de matérialiser le cerveau collectif et visualiser l’ensemble des informations liés au projet
  • Si aucun espace n’est disponible pour le projet, créez-le !
  • Conserver le cerveau collectif pendant la durée du projet
  • Sortez : récoltez de l’information, prenez du recul, changez-vous les idées…etc.

Sandy, UX-Designer @UX-Republic